note
mai 2025
Gouvernance des entreprises cotées :
vertus et limites des proxy advisors
La gouvernance des entreprises cotées est souvent abordée sous l’angle des grands équilibres socio-économiques, des performances boursières de chaque société ou encore des tribulations des figures les plus médiatiques du capitalisme. Mais, dans un monde saturé d’informations et souvent privé d’explications, il est aussi, dans ce domaine, des mécanismes de pouvoir qui se déploient à l’abri du regard du grand public malgré leur importance fondamentale pour notre économie, nos entreprises, et in fine, notre vision du monde.
Les proxy advisors (ou proxies), ces agences qui guident les décisions de vote des plus grands actionnaires lors des assemblées générales, sont un acteur clé de cet « autre théâtre », plus feutré, plus technique, qui se joue dans la coulisse. Leur influence croissante n’est ni anecdotique, ni marginale et si, en apparence, leur activité semble ne concerner qu’une poignée de spécialistes, imaginer que leur influence se limite au cercle restreint des conseils d’administration des grands groupes et de leurs actionnaires institutionnels serait succomber à une confortable illusion.
D’abord parce que, dans un capitalisme où l’épargne collective (c’est-à-dire la nôtre à tous, via l’assurance-vie par exemple) irrigue les marchés, les choix des proxies sont, in fine faits en notre nom. Ensuite, parce que les recommandations des proxies rejaillissent sur nous tous via les choix des entreprises, qu’elles modèlent, entre autres en matière sociale et environnementale ou dans leurs schémas de rémunération. En tant qu’épargnants, citoyens, salariés, nous sommes donc toutes et tous concernés.
La présente Note propose d’éclairer ce phénomène. Car les proxy advisors, s’ils remplissent une fonction utile – structurer, professionnaliser, homogénéiser les processus de gouvernance – participent aussi, par leur action, à la production d’un système normatif d’ordre privé qui pèse de plus en plus dans la régulation des entreprises. Un tel pouvoir, informel mais structurant, suppose des garanties claires de légitimité, de transparence et de proportionnalité.
Nous sommes entrés dans une ère où les entreprises ne sont plus seulement attendues sur leurs résultats, mais aussi sur leur « impact ». La montée en puissance des dispositifs de reporting extra-financier (CSRD, taxonomie européenne, directive CS3D…) traduit une volonté légitime et bienvenue de mieux mesurer, pour mieux piloter. Mais cette logique peut aussi engendrer des effets pervers lorsque le souci de comparabilité devient une fin en soi, au risque d’une uniformisation qui nie les singularités géographiques, ou quand le crible auquel sont passées les décisions des entreprises est aligné sur une sorte de « morale » puritaine venue d’ailleurs – en fait, les États-Unis.
Il serait aisé de faire porter la responsabilité de ces changements à l’un ou l’autre des acteurs. La réalité est plus contrastée. Elle est le fruit d’un jeu de ping-pong entre la loi et la pratique qui se répondent depuis plusieurs décennies de part et d’autre de l’Atlantique. Les professions du chiffre – au premier rang desquelles les commissaires aux comptes – le savent mieux que quiconque : en matière de normes et de régulation, le diable se loge souvent dans les détails… mais il peut aussi revêtir les habits d’une vertu excessive. C’est pourquoi il est fondamental d’interroger ceux qui, sous couvert de rationalité, produisent des standards sans toujours répondre des principes qui les fondent.
Comme le rappelle la Note de l’Institut Messine, nul ne saurait s’exonérer de la question de la redevabilité et de l’autocritique – pas même les proxies, quelque incontestable que soit leur apport à la communauté des investisseurs. En posant les termes du débat de manière rigoureuse, documentée et dépassionnée, l’Institut Messine entend contribuer à cette nécessaire exigence démocratique.
Cette Note ne plaide évidemment ni pour l’effacement des proxy advisors, ni pour un encadrement tatillon. Mais, se voulant d’abord pédagogique et analytique, elle appelle à un débat éclairé. Au nom d’une gouvernance qui conjugue exigence, transparence, et discernement.
L’Institut Messine, fidèle à sa vocation, entend ainsi contribuer à faire émerger une culture du débat économique où la complexité n’est pas un obstacle, mais un devoir d’intelligence collective.
Conférence
Une conférence a eu lieu le 22 juin à la maison des professions Libérales (Interfimo) en présence de l’analyste financier Carole Rozen, auteure de la note, Cédric Lavérie, responsable de la recherche France chez Institutional Shareholder Services (ISS), Astrid Milsan, secrétaire générale adjointe de l’autorité des marchés financiers et Helman Le Pas de Sécheval, secrétaire général de Veolia.
Retombées médiatiques
La lente professionnalisation des proxy advisors, Opinion Finance (03/06/25)
Quels impacts les proxy advisors ont-ils sur la gouvernance des entreprises ?, Journal Spécial des Sociétés (03/06/25)
Pourquoi les relations restent compliquées entre entreprises cotées et agences de conseil en vote ?, Les Echos (27/05/25)
Gouvernance : décryptage de l’influence des proxy advisors par la CNCC, Mes Infos, (26/05/25)